Rencontre sans lendemain
- Cécile Lou
- 6 juil. 2018
- 8 min de lecture

Ce soir, j’ai choisi de revêtir une tenue soft : une longue tunique chemise et des sandales argentées. Pas de talons aiguilles, ni de bas résilles, pourtant, je me prépare avec soin pour être irrésistible. J’ai ombré mon regard, qui de gris fardé devient mystérieux et mis un soupçon de rouge sur mes lèvres. Mes cheveux semblent attachés négligemment alors que ce satané chignon m’a demandé une demi-heure de réalisation. Mais enfin, je suis fin prête, à mon avantage, sans sembler trop apprêtée, un savant mélange subtil entre naturel et sophistication. Je deviens experte et pourtant, c’est toujours avec une certaine excitation que je me prépare pour mes rendez-vous galants, bien que l’intitulé ne soit pas toujours très adapté…
Je suis accro, méga dépendante… au travail. Ainsi après mes longues journées au bureau et mes weekends écourtés en raison d’échéances importantes, j’ai bien du mal à concilier ma vie personnelle avec ce rythme de dingue.Alors, j’ai appris à aller à l’essentiel, à me faciliter la tâche et à déléguer tout ce qui peut l’être. J’ai une femme de ménage qui remplit son rôle à merveille, bien mieux que ce que je ne saurais le faire moi-même. Le traiteur du coin doit remercier chaque jour le ciel de m’avoir comme voisine et je n’ai pas mis les pieds dans un supermarché depuis … depuis… disons une éternité… Le drive est une invention formidable. Il m’est impossible de comprendre pourquoi certains préfèrent continuer à parcourir les rayons d’une grande surface alors qu’en deux temps, zéro mouvement, la corvée est réalisée sur le net. Et pour les hommes, c’est du pareil au même. Je ne vais pas gâcher mon précieux temps pour arpenter les soirées en ville et risquer de rentrer seule au petit matin alors qu’en quelques clics, pesé, c’est emballé !
Contrairement à certains qui se retrouvent sur les sites de rencontre par dépit, j’avoue que j’adore ça. Le plaisir en solitaire a parfois ses limites et effectuer une sélection en amont est un sacré gain de temps non négligeable. Ainsi, j’orchestre ma vie sexuelle de manière pragmatique comme mes rendez-vous professionnels : étude du marché, planification et action ! J’ai largement le temps pour me projeter dans une villa en banlieue avec une jolie barrière blanche et un labrador dans le jardin. Alors en attendant mon prince charmant, qui n’a pas encore réussi à faire fonctionner son GPS pour trouver mon humble demeure, je profite des opportunités et des avantages de la révolution numérique.
Ce soir, j’ai tiré un lot non négligeable, j’ai décroché un rancard avec un touriste de passage. Ce sont les rencontres que je préfère… Car malgré mes attentes affichées clairement dès le départ, à l’inverse de nos politiciens, il me faut parfois gérer les états d’âmes ou assauts de ces chers messieurs après nos rendez-vous. Il m’est aussi arrivé d’en croiser certains au bras d’une jolie mère de famille, l’alliance au doigt. Hors les prises de tête et la culpabilité ne sont pas prévues dans mon programme. C’est le revers de la médaille, mais aujourd’hui, aucun risque ! Vive les estivants et les nouvelles candidatures !
J’arrive devant le restaurant où nous devons nous retrouver. J’ai dix minutes de retard. Parfait, il faut savoir se faire désirer mais sans excéder quatorze minutes sous peine de mal débuter la soirée avec un homme énervé. Mes statistiques sont précises, savamment étudiées et portent en général leur fruits.
J’aime les étudier à leur insu, avant que le sourire Colgate de rigueur ne fasse son apparition, alors je m’autorise encore quelques secondes pour l’observer à travers la vitre. Alex, car c’est son nom, ou du moins son pseudo, a le nez plongé dans un livre et ne semble pas agacé par mon retard, ni anxieux à l’idée de me rencontrer. Il est grand et bien façonné avec de larges épaules carrées, entièrement fidèle à sa photo de profil (pas de mauvaise surprise de ce côté-là). Son physique laisse penser que ce n’est pas un sportif du dimanche et je me surprends à imaginer qu’on doit être en sécurité au creux de ses bras. Ses cheveux blonds tombent devant ses yeux mais cela n’a pas l’air de le gêner dans sa lecture. Il porte une chemise blanche. Une valeur sûre. Sobre. Elégante. Première étape de franchie avec brio à son insu, je rentre.
***
La soirée est passée à une vitesse fulgurante. J’ai rencontré un homme attentionné, une personne à l’écoute et curieuse, n’étalant pas son parcours personnel comme de la confiture indigeste mais qui sait cultiver l’humour avec parcimonie et finesse… Subjuguée par l’intensité de son regard, il ne fait aucun doute sur l’issue de la soirée…
Pourtant, lorsque nous quittons le restaurant : aie, aie, aie ! Je réalise qu’il loge à l’auberge de jeunesse au milieu de nombreux autres baroudeurs. Hors, s’il y a bien une règle à laquelle je ne déroge pas, c’est de ramener mes conquêtes à la maison. C’est mon chez-moi, mon intimité et autant Julia Robert refusait le baiser, autant pour moi il n’est pas question de laisser un homme pénétrer dans mon appartement. Je ne veux pas me retrouver à les revoir débarquer à l’improviste par la suite. Pourtant, ce soir, je me surprends à hésiter…
Il doit percevoir que cette nouvelle information me perturbe car il m’attire brusquement à lui pour m’embrasser et me retenir comme s’il avait peur de me voir filer en douce.
Sa bouche cherche avidement sur la mienne. Son parfum musqué, le léger goût du café qu’il vient de boire et la douceur de ses lèvres sont un cocktail plutôt agréable à l’effet complètement enivrant.
Il s’enhardit et se fait plus entreprenant : ses mains puissantes courent sur mon corps. C’est troublant et cela devient même, rapidement, carrément excitant. Nos souffles s’accélèrent. C’est une alchimie détonante, une fièvre amoureuse subite qui s’empare de nous.
Ses lèvres quittent les miennes et nous partons à vive allure, main dans la main, vers un lieu plus propice pour abriter cette passion soudaine. Nous courrons presque, comme sommés par la promesse du moment, mais nos yeux se croisent et l’intensité du désir que nous y lisons, nous oblige à nous immobiliser quelques mètres plus loin pour permettre à nos bouches de se retrouver. Nos corps se rejoignent, curieux et impatients. Ses mains chaudes parcourent ma peau avec une avidité de plus en plus criante. Les boutons de nos chemises s’ouvrent les uns après les autres. Nous sommes au beau milieu de la rue. Je devrais me contenir… Pourtant, c’est une impression étrange qui me submerge, je suis mue par un véritable sentiment d’impératif, une urgence animale : me lier à cet homme qui me fait déjà tant chavirer par ses baisers et ses caresses. Je veux m’offrir à lui maintenant, comme si la magie de ce moment risquait de disparaître à chaque instant.
Je n’ai jamais rencontré un homme qui éveille aussi rapidement le désir en moi. Je frémis sous chacune de ses caresses et sens une multitude de vibrations parcourir ma peau et se répercuter au plus profond de mon corps. Ses baisers résonnent en moi comme des présages de plaisir. J’aime me voir comme une prédatrice mais j’avoue qu’à ce moment présent, je me sens comme un gibier complètement pris au piège dans les filets du désir.
Ses mains se sont frayées un chemin jusqu’à ma poitrine qu’il découvre avec gourmandise. Je ne peux retenir un petit gémissement sous ses gestes sûrs, vigoureux et, tendres et délicats à la fois, qui m’enflamment un peu plus à chaque seconde. Heureusement, la rue est déserte…
Je ne me lasse pas de l’embrasser encore et encore et de sentir ses muscles puissants sous mes mains et la pression de son sexe contre mes hanches. Mais soudain, il me plaque contre une porte cochère et profite de l’effet de surprise pour m’arracher mon string et atteindre mon moi intime. Je n’ai pas le temps de le repousser en raison du lieu complètement inapproprié, que sa main commence à courtiser mon petit mont de la félicité déjà bien éveillé. Chaque effleurement me fait totalement perdre la raison et je sens que le plaisir m’inonde, un peu plus, à chaque instant. Il le voit aussi. Son regard ne quitte pas le mien alors que je tente de contenir cette effervescence qui afflue en moi. Je sens une onde brûlante prendre naissance dans mon bas ventre. Elle m’emplit, elle m’envahit... Ses gestes s’accélèrent, il accentue la pression… Mes jambes se mettent à trembler... Ses doigts s’insinuent en moi. J’ai du mal à rester debout sous ces vagues bouillonnantes qui grondent en moi… Je le sens qui vient m’enserrer un peu plus, et alors, soutenue par son bras solide et encouragée par son regard fiévreux, je peux enfin libérer ce torrent ardent qui déferlait en moi.
Sa main, vient se placer sur ma bouche et je prends alors conscience de ma toute relative discrétion. Je suis dans un état tel que je ne me reconnais pas. Une véritable bête. Je n’attends qu’une chose : le sentir maintenant en moi, à l’intérieur de mon sexe tout palpitant.
Mais il me plaque un peu plus contre la porte et me maintient les bras. Que se passe-t-il ? Il ne va pas me laisser comme ça ? Je m’agite mais il resserre un peu plus son étreinte.
C’est à ce moment là, que je réalise qu’un couple est en train de passer dans la rue. Je me mets à rougir, heureusement la nuit est mon alliée. Mes yeux balaient à toute vitesse le sol, à la recherche de mon string mais Alex est imperturbable, il leur adresse un poli bonsoir, comme si nous étions sagement en train de discuter.
L’air frais effleure mon entrejambe, c’est exquis et en même temps insupportable... Heureusement les promeneurs retardataires passent enfin le coin de la rue. Alex me relâche les bras et je peux enfin ouvrir son pantalon et baisser son boxer. Je m’empresse de prendre son membre entre mes mains. Je le caresse et l’enserre avec impatience le temps qu’il ouvre un préservatif. Puis, il attrape ma jambe gauche et la soulève et enfin, il me pénètre. C’est tout simplement une véritable délivrance.
Notre corps à corps semble instinctif, comme si nos atomes se connaissaient, se reconnaissaient et tendaient vers le même but. Cette étreinte charnelle, bestiale et sauvage me fait perdre toute notion de temps et de lieu. Je ne suis qu’un corps brûlant, complètement centré sur cet échange physique, bouillonnant, vif et frénétique qui me porte vers une félicité ardente que je n’imaginais même pas.
Soudain, il lâche ma jambe et me retourne. Il plaque son ventre contre mon dos et à chaque coup de rein, je le sens plus intensément en moi comme s’il atteignait le plus profond de mon intimité. Mon corps se tend, tant et plus, sous ses assauts fougueux que mes jambes recommencent à flageoler. Une fois encore, ses bras puissants viennent à mon secours… Je me perds dans un deuxième orgasme flamboyant et je l’entends me rejoindre dans le plaisir.
***
Le lendemain, je n’ai même pas envie d’ouvrir mes dossiers. Mon esprit est entièrement dirigé sur la soirée de la veille. Je repense à nos échanges, à ses sourires mais aussi à ses bras puissants et à ces moments de plaisir à l’état brut. J’en viens à regretter qu’Alex ne soit que de passage, bien étonnée de la place que je lui accorde dans mes pensées après une seule soirée passée ensemble. Mais quelle soirée…
De nombreux messages m’attendent dans ma boîte mail. Je n’éprouve même pas la curiosité de les lire.
***
Le soir, je finis tout de même par consulter ma messagerie. Trois messages d’Alex.
Le premier. « Je t’ai menti »
Je me disais bien que c’était trop beau pour être vrai. Les contes de fées sont dans les livres pas via les sites de rencontre…
Le deuxième. « Tu ne me réponds pas ? Tu ne veux pas savoir ? »
Je me maudis d’avoir fait une infidélité à mon pc aujourd’hui.
Le troisième. « Si je suis venu, ce n’était pas pour un simple weekend mais pour signer le bail de mon appartement. J’emménage le mois prochain. On peut se revoir ? »
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